dimanche 26 juillet 2009

Le vêtement féminin à l’école et le désir dans le lien social par Elizabeth KALUARATCHIGE


Que peut-on dire de spécifique du corps vêtu de l’adolescente à l’école? Le voile du symbolique couvre, embellit et masque le corps pulsionnel. Ainsi, selon la conception lacanienne de l’objet a[1], le corps de la jouissance sera couvert par le vêtement. L’objet a est en effet, antérieur à l’objet d’amour et à la constitution du statut de l’objet commun, communicable et socialisé[2]. Il conceptualise l’impossibilité de jouir de l’Autre dans sa forme non-symbolique, c’est-à-dire das Ding ou la Chose. Pour être symbolisé, cet objet maternel doit manquer du phallus, marquant ce « manque » par le vêtement du symbolique. Le vêtement n’est donc pas qu’une métaphore, il fonctionne aussi comme un fait du culturel.

L’adolescente est une femme «en devenir ». Elle vit son corps dans son destin anatomique et psychique. D’après Freud, l’invention du tissage par la femme, montre le travail de l’inconscient sur son corps dépourvu d’organe phallique[3]. Le mouvement de recouvrement du corps serait donc laissé à l’initiative de la femme, par cela même, paradoxalement, elle dissimule le manque de la mère. Il s’agit d’un conflit mystérieux, proprement féminin, qui consiste à voiler le manque dans l’Autre et à faire surgir le manque en remportant la victoire de l’Eros dans sa demande d’amour. A partir de ce point précis, il semble possible d’affirmer que le vêtement féminin met en lumière l’acte de tisser et défaire le lien d’amour, par la suite le lien social.

Au moment de l’adolescence, dans son Œdipe au féminin, la fille se situe donc entre deux axes : refuser le féminin pour promouvoir le narcissisme ou devenir femme en son corps pour désirer l’objet. Les adolescentes semblent questionner, à travers le vêtement, ce double destin : la jouissance ou le désir. Afin d’aller vers le sexuel, elle lutte contre la mère fantasmée comme toute-puissante incarnant la toute-jouissance. En effet, il s’agit de l’enjeu inconscient du ravage « entre mère et fille »[4]. L’adolescente questionne ainsi : Faut-il voiler ce corps qui met en évidence ce manque, ou restituer dans l’imaginaire l’objet a pour nier le manque ?

Habiller du symbolique ou de l’imaginaire

Pour soutenir nos hypothèses, nous avons pris en considération quelques formes culturelles, sociales et commerciales de vêtements devenus cibles des conflits entre l’adolescente et l’école. Posons quelques questions de départ : porteuses de décolletés, de voile, de survêtements unisexes, et les anorexiques refusant les vêtements typiquement féminins. Quel rapport ont-elles avec les réglementations scolaires et le marché des vêtements ? Visiblement elles acceptent ou rejettent catégoriquement les propositions commerciales. Cependant, la clinique différentielle met en évidence la manière dont le désir du sujet est au centre de cette question du vêtement porté à l’école. Le sujet nous dévoile rarement une pure manipulation politique ou médiatique ; il est dans sa logique de désir ou d’aliénation à une image narcissique sous un masque du culturel. Nous avons, d’une part, les propositions narcissiques telles que les identifications « sexistes » ou « hyper-modernes » ou « sportives », et de l’autre les idéaux narcissiques tels que « religieux » ou « traditionnels » dessinant l’image idéale d’une jeune fille. En principe, les images narcissiques proposées par différents organismes du social sont censées étayer le sujet. Lorsque la fonction paternelle n’a pas désigné son identification sexuée, la fille pourra difficilement concevoir l’idéal constituant son sujet. Dès lors, l’institution et ses normes incarneront pour elles des limites injustifiées à sa jouissance. Donc le sujet s’identifiera à une image incompatible avec son désir ou à une image dévalorisante, ou bien à une image du narcissisme de la toute-puissance. Cependant, les conflits adolescentes/école, à propos du vêtement attestent que les idéaux narcissiques proposés par le collectif n’ont pas pu contenir ou orienter bien longtemps la souffrance des adolescentes.

Il importe de noter ici, que les filles ayant ressenti l’injustice de la part de l’Autre dans sa préhistoire, perçoivent l’institution comme complice agissant contre son avènement et son émancipation. Elle réagit ainsi contre l’injustice institutionnelle. En empruntant les termes utilisés par Pascal Lardellier[5], on pourrait dire contre « la miss Cendrillon de temps moderne » sélectionnée selon des commandements, et également contre la banalisation des Lolitas ».

En effet, actuellement, le voilement et l’embellissement du corps féminin, ont une jonction avec le commerce capitaliste et libéral. Les vêtements du symbolique semblent avoir un destin commercial. C’est l’industrie des vêtements qui nous fournit ce voile. L’inscription au symbolique semble commercialisable, et les jouissances également semblent pouvoir être bradées au prix du marché. On propose des bouts de jouissance ou des « plus-de-jouir » aux femmes aussi bien qu’aux hommes, sous forme de lingerie féminine. Les vêtements soutenant l’objet de l’angoisse du sujet sont ainsi proposés par le marché. Mais, le sujet ressent qu’il existe un corps non vendable, ni liquidable à n’importe quel prix. Quant, à l’école, n’acquiesce-t-elle pas à ce marché et aux propositions imaginaires et narcissiques du social, malgré les interdits vestimentaires contre la mode ultra-sexiste ? Comme le note J. J. Rassial, « l’école est l’instrument privilégié du refoulement social au profit de l’institution. Le mot institution a un sens précis. Non pas dans le seul sens d’une répression du désir, mais aussi dans le sens d’une promesse de jouissance »[6]. Quelle répression exerce-t-elle et quelle jouissance promet-elle l’école, à la jeune fille ? Couverte de coutumes, habitudes ou/et traditions économiquement ou politiquement déterminés, cette double forme élémentaire du travail du culturel est presque invisible.

Instauration masculine de l’éducation des filles

L’école en tant qu’institution n’incarne-t-elle pas, auprès de la jeune fille, l’instauration originaire de l’institution faite par les frères de la horde ? Prenons l’instauration de l’éducation des filles en France. Les femmes ont-elles demandé cette éducation conçue par les hommes ? Pendant la 3ème République, le droit de vote étant le privilège des hommes, les parlementaires, c’est-à-dire « les frères de la République » ont proposé une éducation bien différente de celle des garçons et une structure éducative pour les filles sous certaines conditions. Claude et Françoise Lelièvre nous montrent clairement comment les républicains ont voulu éduquer les femmes pour qu’elles deviennent modératrices de la société et éducatrices des fils de la République[7]. Jules Ferry a déclaré qu’ « Il faut que la démocratie choisisse, sous peine de mort ; il faut que la femme appartienne à la science ou qu’elle appartienne à l’Eglise »[8]. Les femmes étaient dans l’obligation de devenir les femmes de la République, pas encore les citoyennes (sans droit de vote). Comme disait Deleuze, femme en tant que minorité doit « devenir », tandis que l’homme est la majorité et il n’est pas à devenir[9]. Sur le plan politique et social, la femme reçoit ainsi, de la part de l’homme, une éducation conçue par l’homme.

Il fallait, dit-on, proposer aux femmes une sublimation non religieuse, pour réprimer leur pulsion sexuelle. Dans tous les cas, la religion se méfiait de la sexualité de la femme ; n’en est-il pas de même pour l’école devenue l’école de l’Etat éducateur ? Pour Bourdieu, l’école, malgré sa séparation d’avec l’Eglise, continue de transmettre les présupposés de la représentation patriarcale[10], par les filières, l’orientation, et l’inculcation des valeurs. Les conflits avec des professeurs femmes incarneraient-ils la lutte de l’adolescente contre la contribution féminine ? Les conflits ne sont-ils pas une figure de cette émancipation féminine, contre les freins de la culture et le rejet de sa contribution à instaurer et consolider l’institution originaire des frères considérée comme répressive et tyrannique? Lorsqu’on perce la toile du discours purement politique, nous percevons comment l’adolescente évoque « cette Chose » travaille en elle.

L’école en tant que paradigme de l’uniformisation

Dans la société dite post moderne, d’un côté, l’école laïque veut cette neutralité religieuse et sexuelle, elle veut promouvoir l’indifférence par rapport à la différence sexuée. De l’autre, une culture soutenue par les impératifs du marché libéral et ses corollaires médiatiques proposent des vêtements à la dernière mode, une manière de jouir en tant qu’être non seulement de désir mais aussi de jouissance sexuellement connotée.

L’école, à travers les règles, témoigne de sa préférence pour les jeunes filles portant des pantalons, des jeans ou des survêtements. Ne souhaite-t-elle pas une autre uniformisation des tenues vestimentaires occidentales ? Malgré cette demande de l’école, la jeune fille suivra son désir. Les décolletés, mini jupes, pantalons en bas des hanches en montrant ainsi leur cache-sexe témoignent de sa recherche du regard de l’autre et de l’Autre, pour montrer sa différence en tant que femme. Ou bien, la jeune fille veut-elle « montrer » qu’elle porte la culotte pour défier le masculin ? Elle surenchérit, avec les vêtements, « le sujet polémique » : sexiste et religieux. Dans un cas comme dans l’autre, l’adolescente défie et nargue la réglementation des jouissances proposées par l’institution. Par sa mon(s)tration, elle met en relief le risque de surgissement du monstre parmi les humains. Les sujets polémiques surgissent forcément à travers les fentes laissées entre les écorces du symbolique, là où la loi n’est pas clairement transcrite en tant que règlement.

Vêtement de la jouissance

Par ailleurs, l’adolescente portant les vêtements d’une « enfant-prostituée » transmet un message de la souffrance d’une fille « chosifiée » devenue objet de jouissance de l’autre. Le sujet devient l’objet « vendable » du marché de vêtement extra-sexiste. Il s’agit ici de la fille «violentée» prête à être vendue à l’Autre de la jouissance. Ces adolescentes sont continuellement dans les passages à l’acte, elles sont démonstratrices de leur vécu traumatique de jadis. Les agressions venant des institutions ou des individus leur permettent de retravailler cette souffrance dans le réel. Elles ressentent une jouissance de «plénitude réelle» avec la Chose, à travers un corps qui jouit des agressions cherchées et provoquées. Dès lors, l’objet masculin rabaissé ne lui apportera donc pas le phallus. Elle est elle-même le phallus de «l’objet de l’inceste», corps ouvert et « sans culotte ». La figure de la « femme-enfant » de Margueritte Duras est exemplaire pour un tel cas de figure. Elle ressemble à une incarnation d’une adolescente vivant dans l’amour fusionnant d’une mère inassouvie, dévastée et endeuillée. L’adolescente persévère dans la réparation de cette mère défaillante. Par exemple, Duras écrit comme ceci : « Reste cette petite-là qui grandit et qui, elle, saura peut-être un jour comment on fait venir l’argent dans cette maison»[11]. Face à la misère d’amour, le corps « vendable » est le corps imaginaire aliénant, bradé comme une « chose ».

Le Voile et la robe sous forme d’un sac

Nous avons retenu deux cas de figures d’adolescentes préférant porter le voile et une robe sous forme d’un sac. Notre hypothèse est que la même tenue vestimentaire désigne deux manifestations possibles du corps pulsionnel. Il s’agit d’une lutte contre ou pour le maternel.

Prenons le premier cas de figure. Comme disait Marguerite Duras, un vêtement comme un sac peut être éternel[12]. Malgré le voile et le vêtement « éternel » tombant comme un sac proposé par la tradition, la femme du désir cherche les moyens de le transformer en voile de désir. Brodé et décoré par les fils d’or ou d’argent avec des motifs, elle le prend pour singulariser sa demande d’amour. Malgré son voile ou la robe traditionnelle, elle s’adonne au jeu du désir : les maquillages, les bijoux et les parfums. Néanmoins, les conflictualités entre les images narcissiques « politiques, nationales et internationales » rallument sa lutte contre les modes conçues par une telle adolescente comme « modes des prostituées ». Le voile et le vêtement sous forme de sac, mais bien décoré sont portés par l’adolescente pour dire qu’elle est femme. Elle attend son « futur » homme : l’objet d’amour de ses fantasmes. Elle attend qu’il dévoile un jour son corps du désir. Comme nous avons montré ailleurs, dans un de nos articles[13], l’adolescente met en relief non seulement le désir au féminin, sujet tabou de l’école, mais aussi son identification sexuée dans un lieu où paradoxalement l’on prône l’indifférence à la différence, à la différence sexuée aussi bien que toutes autres différences.

En effet, ces adolescentes se mettent à créer des « attrape regards ». Elle porte un vêtement dit « hors norme », selon l’endroit de sa fréquentation. Elle veut transmettre son message. Dès qu’elle est dominée par le désir d’objet, elle cherche le regard de l’autre : son objet d’amour. Comme le note Freud[14], elle est dans la logique de la pulsion scopique renversée qui est caractéristique du féminin. Il s’agit donc d’un refoulement d’une pulsion sous forme passive : se faire voir. Il s’agit d’une version masochiste au féminin, pour être soumise au regard de l’autre. Le sujet, lorsqu’il est dans sa stratégie du désir d’objet, montre son corps pulsionnel mis en valeur par les vêtements, promus par les propositions de la tradition ou du marché, mais pourtant paradoxalement interdits par l’école.

Dans le deuxième cas de figure, au moment où elle pratique l’outrage, elle témoigne sa recherche du regard de l’Autre, c’est-à-dire l’objet a perdu. Elle s’habille contrairement à sa mère vêtue à l’occidental. La fille qui l’a cherché éperdument à l’endroit de la mère, vit cet Autre du culturel, comme la répétition de cette situation. Ici « se faire voir », veut-dire l’objet regard quêté au-dehors. Le sujet adresse son désir à l’Autre, pour être de lui reconnu. Le regard de l’Autre étant inconcevable, l’adolescente devient donc soi-même le regard de l’Autre. Il s’agit de se faire elle-même l’objet a, le regard, comme le sein ou l’excrément. L’adolescente montre ainsi le désirant absent. Le voile ou le vêtement réel devient l’objet a en comblant la mère manquant du phallus et qui restitue la plénitude absolue de la Chose. Peut-on donc la nommer comme dans la tradition indienne « fille descendue de l’anus d’éléphant» ou comme disait Lacan « l’excrément du Diable » ? Si elle ne porte pas ce vêtement « le fétiche », la « culotte » ou le « voile », elle sera châtrée. Questionnons donc ; qu’est-ce que la castration chez la fille qui pourrait évoquer le risque d’être châtrée? Il convient d’aborder ici le concept de «l’aphanisis» (du grec : disparition). Lacan montre comment l’aphanisis se substitue à la castration, qui est la crainte pour le sujet de voir s’éteindre en lui le désir[15]. La fille nie la castration, c’est-à-dire qu’elle accepte d’être châtrée et de porter le fétiche qui la pourvoira du phallus qu’elle veut se procurer. N’est-il pas normal, donc, comme l’écrit Freud, que la moitié de l’humanité, c’est-à-dire les femmes peuvent être qualifiées de fétichistes du vêtement. En écrivant à Karl Abraham Freud ajoute « Le fétichisme des vêtements normaux des femmes est également lié à la pulsion de voir, à la pulsion de dénudage»[16]. Le vêtement pourrait être ensuite élevé au rang de fétiche pour dire : la mère doit avoir un phallus. Au contraire, Lacan dit que «le fétichisme est excessivement rare chez la femme, au sens propre et individualisé où il s’incarne dans un objet que nous pouvons considérer comme répondant d’une façon symbolique au phallus en tant qu’absent»[17]. Elles incarnent elles-mêmes le fétiche. Ces adolescentes sont donc l’exemple radical de ce phénomène de fétichisme au féminin.

C’est un retournement de la «misère d’être femme châtrée» par une stratégie de l’ivresse qui s’élève non pas vers l’émancipation mais vers une «rédemption». Elle offre son corps et sa beauté à cette rédemption. Le moment de l’adolescence est propice à cette exaltation narcissique. Comme le note P.- L. Assoun, le terme allemand Schwärmerei est utilisé par Freud pour expliquer ce moment d’ivresse idéologique, et du fanatisme[18]. Le sujet s’éloigne de l’objet et de l’autre, dans un corps fanatique comme l’étymologie de ce mot désigne « le gardien du temple ». Le corps ainsi sacralisé lui-même devient l’Autre « absolu » possédant cet objet a qui comble le manque. Elle dit ainsi qu’elle n’est pas prête à l’amour de l’objet qui donnera le phallus symbolique. Elle soutient donc sa stratégie narcissique par les coutumes d’un groupe social, en prenant en gage la communauté elle-même. Un idéal culturel ou l’extrême religiosité, lui fournirait ce pouvoir. Dès lors, dans sa logique de la toute-puissance, les règlements de l’insitution peuvent être transgressés sans hésitation.

Revenons vers le lien social. Face au surenchérissement de l’acte sexuel, comme pure jouissance « illimitée » comme tout autre forfait « illimité » de notre société, une forme de psychose collective prend naissance. De plus, face à l’extrême religiosité et austérité « illimitée » se crée une autre forme de psychose collective. A notre avis il s’agit de deux figures d’un mythe du retour du chaos, l’angoisse du retour de « la (même) Chose ». En effet, l’imaginaire social se tient à partir de ces images de la terreur du chaos. Comme l’écrit Debarbieux, l’institution voit dans le port du voile des jeunes filles, un phénomène irrémédiable[19]. Cherchons un peu du côté psychanalytique du lien social. Perplexe dans ses choix, l’adolescente à travers ses vêtements « rebelles » ou « traditionnels », transmet son angoisse à l’autre qui se méfie des traditions perçues comme étrangères à l’institution. L’homme qui a peur de la femme voilée aussi bien que l’homme qui réclame le voilement, ne sont-ils pas victimes de cette angoisse de béance maternelle ? Si l’on considère deux contextes culturels « voiler » et « dévoiler », cacher et montrer les cheveux n’incarnent-ils pas tous les deux, l’horreur du retour du chaos dans le lien social ? On peut reconnaître cette adolescente toute-puissante dans la figure de la déesse vierge Athéna. Dans son écrit sur le tabou de la virginité[20], Freud aborde cette question de la vierge d’une «pureté intacte» et incarnant la toute-puissance. Dans le contexte scolaire où l’homme espère voir la femme neutralisée, désexualisée ou plutôt « unisexifiée » l’adolescente voilée, plus que la dénudée, ne montre-t-elle pas sa féminité intacte comme Athéna, déesse de la virginité, qui porte la tête de la Méduse sur son bouclier?

Au contraire, par le choix des survêtements, l’adolescente témoigne de la dissimulation du corps féminin et l’éloignement du corps de toutes les manifestations sexuelles. Toujours, vêtue d’une doudoune ou d’un vêtement unisexe, elle ne s’éloignera pourtant pas de la femme fétichisée. Elle incarne le bâton érigé pour marquer le phallus en réalité absent chez la mère. Cependant, elle est rarement marginalisée par l’école, conformément à la jouissance sportive proposée par le social dans la mesure où elle s’éloigne des polémiques anti-commerciales et politiques.

Refus radical des propositions de l’Autre

Parmi toutes ces figures du vêtement féminin, le corps maigre de l’anorexique, est l’exemple par excellence de refus radical du marché alimentaire, puis du marché vestimentaire typiquement féminin. Avec Lacan, on pourrait dire qu’elle est en dol, pour demander l’amour manqué de la mère devenue réelle et toute puissante et qui pouvait tout donner et tout refuser[21]. Le marché fonctionne, en effet, entre le besoin et la demande. L’anorexique est radicale, elle en a eu trop pour satisfaire ses besoins, mais elle n’a pas eu la réponse d’amour pour sa demande. Elle veut être insoumise à cet Autre du symbolique fantasmé comme l’Autre maternel « hors symbolique ». Les objets « nourriture, vêtement, l’enseignement » proposés par la famille, par le marché et par l’école représentent, chez elle, cette même scène« offre du rien » c’est-à-dire « non- amour ». Elle défie et nargue ainsi toute forme de jouissance promise par le lien social. Elle veut, consommer l’objet a devenu le « rien » du symbolique, qu’elle a eu en tant que « réponse d’amour ». Elle pourra donc savourer « la jouissance sans limites » sans dépendre des offres de l’Autre du culturel.

G. Raimbault et C. Eliacheff, ont nommées les anorexiques « Les indomptables »[22]. Si l’on étudie l’écriture anorexique, on constate qu’il s’agit d’une plaidoirie de l’injustice de l’Autre qui donne les portions congrues, et qui force à manger ce qu’il vous offre. L’anorexique devient la dissidente, qui porte le cahier de doléance, face à un marché évoquant l’injustice sociale et de libéralisme sauvage contre l’amour à l’humanité. A notre avis les écritures d’Amélie Nothomb est l’exemple par excellence. Quel sens donner à cet acte vindicatif ? Pour avancer dans cette voie, l’hypothèse proposée par Lipovetsky ne manque pas d’intérêt. L’idée mise en avant est que le culte de la beauté fonctionne comme une police du féminin, une arme à arrêter leur progression sociale[23]. Nous préférons, proposer l’hypothèse que l’institution veut réguler et contrôler, par ses idéaux narcissiques, la jouissance des femmes. L’anorexique étant celle qui a vécu l’injustice dans sa préhistoire, est fortement sensible à cette répression sous forme de propositions narcissiques. Son narcissisme, centré autour de l’autoérotisme, rejette plus ou moins l’objet d’amour. Elle ne veut ni « prison domestique » ni « prison esthétique ». Les hommes sont constructeurs de ces prisons. Elle refuse ainsi son destin féminin que selon elle, est injuste : avoir le corps typique d’une femme exigé par l’Autre, premièrement sous forme de mode, avec la panoplie de vêtements, avec ses critères de « beauté féminine avec ses seins et ses muscles fessiers », deuxièmement sous forme de destin féminin « d’être mère ». On m’a refusé jadis l’amour, je refuse ainsi le destin que l’Autre m’impose aujourd’hui.

Concluons

Au centre de ces conflits, il est question de l’Œdipe encore inachevé de l’adolescente. Par ailleurs, à partir d’un début d’une hystérie ou perversion classique l’adolescente sera nommée par l’institution comme « allumeuse » « rebelle « séductrice » ou comme un véritable « objet de jouissance ». Au moment de l’adolescence, à partir de l’exaltation narcissique en conflit avec l’investissement d’objet, l’adolescente devient en effet, imprévisible dans ses passages à l’acte. Néanmoins, au moment où elle met en relief les ouvertures de la jouissance laissées par le lien social, elle incarnera la toute-puissance de la Chose « mère totale ». C’est à ce moment là, au sein de l’école, l’autorité constate l’existence de véritables fentes décousues ou non encore cousues du voile du symbolique. D’un conflit banal sur le maquillage dans la classe, jusqu’au conflit controversé comme porter le voile, l’école témoigne de la difficulté que l’institution en général rencontre à transcrire la Loi « une fois pour toute ». Les règlements inscrits et les critères transparents laissent de toute évidence de côté une partie non inscrite, en tant que « hors-symbolique ». Il s’agit en effet, d’un point faible du tissage du symbolique surgissant dans l’enceinte de l’école.

Bibliographie

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[1] J. Lacan, Le Séminaire, Livre XX, Encore Paris, Seuil, 1975, p. 14.

[2] J. Lacan, Le Séminaire, Livre X, L’angoisse, Paris, Seuil, 2004, p. 108.

[3] S. Freud, « La féminité » in Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris Gallimard, folio essais, 1984, p. 177.

[4] D’après ce terme utilisé par Lacan, M.- M. Lessana traite la manière dont une femme peut éprouver une menace de persécution, ou bien elle peut être tentée de «se laisser ravir», de se laisser déposséder par l’image d’une féminité réalisée. Voir Entre mère et fille : un ravage, Paris, Pauvert, Département des éditions Fayard, 2000.

[5] P. Lardellier, Les nouveaux rites, Du mariage gay aux Oscars, Paris, Belin, 2005, p. 163

[6] J.-J. Rassial, L’adolescent et le psychanalyste, Paris, Rivages/Psychanalyse, 1990, p. 81.

[7] C. et F. Lelièvre, Histoire de la scolarisation des filles, Nathan, 1991, p. 121.

[8] Discours et opinions de Jules Ferry, Paris, Robiquet, Armand Colin, 1896, t 1, p. 304.

[9] G. Deleuze, Abecedaire, produit et réalisé par Pierre-André Boutang, DVD, 2004.

[10] P. Bourdieu, La domination masculine, Paris, Seuil, Point Essais, 2002, p. 119.

[11] M. Duras, L’Amant, Paris, Les éditions de minuit, 1984, p. 33.

[12] M. Duras, L’Amant, op. cit., p. 29.

[13] E. Kaluaratchige, Voiler et dénuder : retour du féminin à l’école de la République, in Synapse, 2006.

[14] Lettre du 18 février 1909, in Correspndance, S. Freud et K. Abraham, Paris, Gallimard, nrf, 1969.

[15] J. Lacan, Séminaire, Livre IV, La relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p. 216-.217.

[16] Lettre du 18 février 1909, in Correspndance, S. Freud et K. Abraham, op.cit.

[17] J. Lacan, Le Séminaire, Livre IV, op. cit., p. 154.

[18] P.-L. Assoun, « La folie de l’idéal ou l’inconscient fanatique. Figures de la Schwärmerei, in « Pourquoi le fanatisme », Penser et rêver, N° 8, automne, édition de l’Olivier, 2005, p.176.

[19] E. Debarbieu, La violence en milieu scolaire, Tome 2, Le désordre des choses, Paris, ESF, 1999, p.84-85.

[20] S. Freud, « Le tabou de la virginité », (1918), in La vie sexuelle, Paris, P.U.F., 1969, p. 66-80.

[21] J. Lacan, Le Séminaire, Livre IV, op. cit, p. 185, p. 223.

[22] G. Raimbault et C. Eliacheff, Les indomptables, Figures de l’anorexie, Paris, Odile Jacob, 1988.

[23] G. Lipovetsky, La troisième femme, Permanence et révolution du féminin, Gallimard, 1997, p. 137.