lundi 5 juillet 2010

Commentaire par Elizabeth KALUARATCHIGE sur l’intervention de Paul-Laurent ASSOUN lors de la rencontre scientifique sur « la folie »

Le Collège International de philosophie a organisé une rencontre le 29 mai 2010 sur le regard porté aujourd’hui sur ce que l’on nomme traditionnellement la folie. L’intervention de Paul-Laurent Assoun, Professeur à l’Université Paris 7, attire toute notre attention et elle mérite d’être commentée pour l’intérêt qu’elle porte aux acteurs du milieu thérapeutique.


Paul-Laurent Assoun montre en premier lieu, que la dimension psychanalytique de « la folie » intervient entre les deux rationalités philosophique et scientifique. La psychanalyse n’est ni une sorte de complément psy de la science, ni non plus une conception philosophique neuve. Depuis Descartes, dit P.-L. Assoun, dans la modernité philosophique, le cogito ou la pensée se confronte en permanence à la possibilité de la folie. Il est impossible de mener une réflexion sur le sujet pensant et sur la rationalité, sans penser la possibilité de la folie, du fait que la folie vient subvertir la réalité.


L’originalité de la psychanalyse sur la question de la folie, c’est la confrontation au réel de la folie. L’idée de Freud c’est que la psychiatrie essaie toujours de classer les signes, « les maladies » et « les malades », mais classer n’est pas suffisant. Au contraire, l’ambition de la psychanalyse est d’introduire une causalité. P. –L. Assoun insiste sur le terme « ambition ». Il s’agit d’être très modeste face à la complexité de la folie. La psychanalyse a tenté une théorie causale, mais non réductive. L’idée de la psychanalyse c’est donc que le symptôme ou « la folie » ne seraient pas l’effet d’un disfonctionnement ou d’un handicap, malgré les aspects déficitaires notamment dans la psychose. Elle explique que le symptôme vient porter à l’expression une vérité du sujet qui n’a pas trouvé d’autres accès que le symptôme et que cette vérité est articulable dans une structure subjective. Il ne s’agit pas simplement d’un intérêt compassionnel. Sans pour autant dévaloriser la compassion, P.-L. Assoun ajoute que dans la psychanalyse, sympathiser avec la souffrance du sujet ne suffit pas. Elle vise la compréhension de la cause de la souffrance : le conflit fondamental. C’est par là, que le sujet devient primordial dans la psychanalyse. Contrairement à la philosophie, le sujet intervient comme divisé, à travers la dimension inconsciente.


Dans la dernière partie de l’intervention de P.-L. Assoun, nous avons pu comprendre le double aspect de la résistance contre la psychanalyse. Il est d’actualité. Premièrement la philosophie n’oublie pas le sujet. La science au contraire cherche l’objectivité du processus, - c’est d’ailleurs, précise P. –L. Assoun, son devoir-, donc la science refoule le sujet. Au contraire, dans la psychanalyse, le sujet se situe dans une logique de la division du sujet, par la dimension de l’inconscient. Il fait mal aux certains philosophes et également aux scientifiques qui considèrent que le sujet divisé se situe au-delà de la science. Au contraire, dans la psychanalyse, le savoir de l’inconscient ne veut pas subvertir la science. Paul-Laurent insiste beaucoup sur cet aspect. Il ajoute que la psychanalyse pense la science, elle pense le sujet de la science. Lorsqu’on parle de l’inconscient, on ne pale pas d’un sujet psychobiologique ni complètement psychogénétique. La pulsion est déjà un concept limite entre psychique et somatique.


Pour la psychanalyse, le problème n’est pas tout simplement, calmer le délire, -souvent la science s’occupe de ce travail-. Toute la difficulté est de pouvoir non pas seulement traiter l’organe ou l’endroit du cerveau, mais comprendre quand un sujet délire quelle est la logique de la subjectivité de son délire, pour pouvoir l’accompagner. P.-L. Assoun explique ce travail à travers le psychotique. Le délire n’est donc pas une preuve de la folie, mais une tentative par son symptôme de s’adapter à la réalité, pour que le sujet puisse vivre. Il s’agit d’une version viable de la réalité. C’est pour cette raison, que le sujet aime son délire. Avec l’age, certains psychotiques vivent très adaptés, plus adaptés que certains névrosés. Ils peuvent vivre et gérer une tache automatique ou mécanique, avec une certaine efficacité. Par exemple le travail n’est pas perturbé par un acte manqué ni par les crises hystériques. P. L. Assoun insiste donc sur la possibilité d’utiliser des moyens pour maintenir le rapport du sujet psychotique avec l’autre. Il voit l’importance de beaucoup de techniques thérapeutiques utilisées à cet effet. Il ajoute « Tout est bon pour intervenir ». Cette capacité d’adaptation est souvent absente chez des névrosés qui sont préoccupés par la loi symbolique, le père, la culpabilité. P. –L. Assoun montre également comment la psychanalyse rencontre l’impasse subjective du psychotique. La psychose pose un problème énorme surtout sur la question du sexuel. Il nous rappelle la phrase de Lacan, « l’acte analytique ne doit reculer en aucun cas ». Comme tout autre savoir clinique, le psychanalyste entend le psychotique, sa souffrance et son conflit.


Tout en appréciant les avancées scientifiques sur l’imagerie mentales, les techniques et les thérapies médicales, il montre comment ces pratiques peuvent devenir problématiques. En répondant à une question posée, il explique qu’il y a une illusion chez certains praticiens, de finir par objectiver la folie, comme un objet de science pure. Il ajoute que tous les praticiens ne partagent pas cette illusion. L’imagerie cérébrale montre une lésion cérébrale, par exemple, on peut traiter cet endroit, mais ce qu’on ne peut pas oublier, c’est qu’on est face à un sujet parlant. La capacité de communication est toujours présente chez le sujet. Ces acquis ne doivent pas être transformés en illusion d’une objectivation. Il précise que la folie n’est pas simplement l’objet de la science, mais de sa condition. Malgré la version possible d’une objectivation, le sujet a une vérité dans laquelle il est engagée. Il ne s’agit pas d’un inconscient avec un I majuscule. Il ne s’agit pas non plus de la Vérité avec V majuscule. Les symptômes sont considérés comme étranges mais ils viennent de nous. P. –L. Assoun nous présente un exemple très simple. Quand on fait des lapsus, on est gêné. On fait passer notre petite vérité. Au plan social, on rit puis on passe à autre chose. D’ailleurs c’est conseillé au plan social. Mais, cette vérité empoisonne le social. Tandis que l’analyste est là pour dire qu’il y a une vérité du sujet de l’inconscient et qu’elle peut créer un symptôme, une souffrance, « une folie ». La psychanalyse montre qu’on ne peut pas objectiver un acte manqué ni un symptôme, mais c’est néanmoins un fait. On peut le déchiffrer du fait que c’est un sujet parlant qui est impliqué dans ce qu’on nomme traditionnellement « la folie ».


Photo par Udayanga Amarasekara/ Flickr photo